(…)
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 136 de l’Acte uniforme susvisé en ce que la cour d’appel a jugé «…que la date de l’exploit d’assignation (19 octobre 2000) n’est pas celle de la saisine du tribunal qui n’est effective que du jour de l’enrôlement de la procédure…» alors que, selon le moyen, c’est la date de l’assignation ou de la requête qui doit être considérée comme étant celle de l’action en justice et non celle de l’enrôlement ; que l’ordonnance présidentielle n°4324/00 du 11 octobre 2000 ayant fixé un délai de 30 jours à la défenderesse pour initier sa demande au fond et précisé que cette action ne pouvait être introduite avant l’expiration d’un délai de 15 jours à compter de la signature de l’ordonnance, c’est de manière prématurée que la société A2IC a introduit son assignation au fond le 19 octobre 2000 sans attendre la date d’expiration du délai de 15 jours fixé au 26 octobre 2000 ;
Attendu qu’aux termes de l’article 136, alinéas 2 et 3 sus indiqué « …Elle (la décision rendue) fixe au créancier un délai dans lequel il doit, à peine de caducité de l’autorisation, former devant la juridiction compétente l’action en validité d’hypothèque conservatoire ou la demande au fond, même présentée sous forme de requête aux fins d’injonction de payer. Elle fixe, en outre, le délai pendant lequel le créancier ne peut saisir la juridiction du fond.
Si le créancier enfreint les dispositions de l’alinéa précédent, la décision peut être rétractée par la juridiction qui a autorisé l’hypothèque » ;
Attendu qu’il résulte des dispositions sus énoncées que la sanction de l’inobservation du délai prescrit au créancier pour saisir la juridiction du fond est la rétractation éventuelle de la décision ayant autorisé l’inscription provisoire de l’hypothèque par la juridiction qui l’a ordonnée ; qu’en l’espèce, au cas où le délai de 15 jours prescrit à la société A2IC n’aurait pas été respecté, l’ordonnance serait exposée à la rétractation par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan qui l’a rendue; qu’il suit que l’arrêt critiqué, quand bien même il se méprendrait dans sa motivation en retenant l’enrôlement comme acte introductif d’instance au lieu de l’assignation, ne viole en rien les dispositions sus énoncées de l’article 136 précité : qu »il échet de rejeter cette première branche du moyen comme non fondée ;
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé, d’une part, l’article 139 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés aux termes duquel le créancier est autorisé à prendre une inscription provisoire d’hypothèque sur présentation de la décision contenant son élection de domicile dans le ressort de la juridiction compétente ou de la conservation foncière au motif que cette prescription n’a pas été observée dans l’ordonnance no 4324/00 du 11 octobre 2000, de sorte que la société A2IC ne pouvait légalement obtenir 1’inscription provisoire et a fortiori l’inscription définitive et, d’autre part, l’article 140 de l’Acte uniforme précité qui dispose en son alinéa 1er que « le créancier doit notifier la décision ordonnant l’hypothèque judiciaire en délivrant l’assignation en vue de l’instance en validité ou de l’instance au fond. Il doit également notifier l’inscription dans la quinzaine de cette formalité » en ce que, si la première formalité, à savoir la notification de la décision ordonnant l’hypothèque judiciaire, a été effectuée, la seconde, à savoir la notification de l’inscription effective, ne l’a pas été; que lesdits articles étant d’ordre public, la cour d’appel devait soulever d’office ces irrégularités et ordonner mainlevée de l’hypothèque et pour ne l’avoir pas fait, son arrêt encourt cassation;
Mais attendu que, contrairement à l’argumentaire de la demanderesse au pourvoi, les formalités prescrites aux articles 139 et 140 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, notamment l’indication de l’élection de domicile du créancier et le défaut de notification dans la quinzaine de l’inscription hypothécaire ne sont pas d’ordre public au regard de l’Acte uniforme précité et ne sauraient donc être relevées d’office par le juge, ni justifier de plein droit une mainlevée de l’inscription de l’hypothèque autorisée; qu’il s’ensuit que ces deuxième et troisième branches du premier moyen doivent être également rejetées comme non fondées ;
Sur le deuxième moyen
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué une omission de statuer en ce que la cour d’appel s’est contentée d’indiquer que « le jugement critiqué rappelle que lors de la mise en état, les parties ont maintenu leurs déclarations contenues dans leurs écritures respectives » et « ledit jugement vise les réquisitions écrites du ministère public en date du 24 juin 2002 », avant de conclure que «c’est à tort que la SCGL prétend que le premier juge a omis de faire état de la mesure d’instruction ordonnée et des réquisitions du parquet » alors que, selon le moyen, il ressort de l’acte d’appel du 12 juin 2003 que la SCGL a invoqué la nullité du jugement n°05/civ./1er du 23 juin 2003 aux motifs que, d’une part, la mise en état ordonnée par le tribunal n’a pas été sanctionnée par un procès-verbal des déclarations des parties de sorte qu’elle n’a pu faire aucune observation suite à cette mise en état et, d’autre part, s’agissant d’une affaire communicable et contrairement aux exigences de l’article 142 du code de procédure civile, le jugement n’indique pas le nom du représentant du Ministère public qui aurait pris des réquisitions, de même qu’il ne comporte pas un résumé des prétentions du parquet; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a omis de statuer sur le moyen de nullité soulevé et exposé son arrêt à la cassation ;
Mais attendu que, contrairement à ce que soutient la requérante, la cour d’appel a bien répondu à sa demande en nullité du jugement entrepris en indiquant, comme l’a d’ailleurs reconnu la requérante dans la formulation du grief, que « le jugement critiqué rappelle que lors de la mise en état, les parties ont maintenu leurs déclarations contenues dans leurs écritures respectives; que de même, ledit jugement vise les réquisitions écrites du Ministère public en date du 24 juin 2002 ; que c’est à tort que la SCGL prétendu que le premier juge a omis de faire état de la mesure d’instruction ordonnée et des réquisitions du parquet; qu’il y a lieu d’en juger ainsi et de rejeter l’exception de nullité soulevée par la SCGL » ; qu’il suit que le moyen n’étant pas fondé, il échet de le rejeter ;
Sur le troisième moyen
Attendu qu’il est aussi reproché à l’arrêt attaqué l’attribution de choses au-delà de ce qui a été demandé en ce que la cour d’appel a confirmé en toutes ses dispositions le jugement n° 05/CIV/1er du 23 janvier 2003 qui a ordonné la validation de l’inscription provisoire d’hypothèque que l’ordonnance présidentielle n°4324/00 du 11 octobre 2000 a autorisé la société A2IC à prendre sur les lots no 1 à 96 de l’immeuble SMGL alors que, selon le moyen, il résulte de la requête du 11 septembre 2000 que la société A2IC a sollicité l’inscription provisoire d’hypothèque sur les lots n° 62 à 87 de l’immeuble SMGL, qu’elle n’a du reste pas identifié par l’indication des titres fonciers;
Mais attendu que contrairement aux prétentions de la demanderesse au pourvoi, la requête de la société A2IC sollicite l’autorisation de prendre une inscription provisoire d’hypothèque « sur tous immeubles appartenant à la société SMGL, et notamment sur les lots n°62 à 87 de l’immeuble SMGL appartenant à la société SMGL » ; qu’il résulte de ces énonciations que la société A2IC vise globalement l’ensemble des immeubles appartenant à la SCGL, et en particulier les lots n°62 à 87 de l’immeuble SMGL ; qu’en confirmant le jugement du 23 janvier 2003 ayant validé l’inscription provisoire d’hypothèque sur les lots n° 1 à 96 de l’immeuble SMGL, la cour d’appel réitère l’appréciation souveraine que le premier juge a faite de l’étendue des lots sur lesquels devait être provisoirement inscrite l’hypothèque ; qu’il suit que ce troisième moyen doit être rejeté comme non fondé ;
Sur le quatrième moyen
Attendu qu’il est enfin reproché à l’arrêt attaqué un défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs en ce que la cour d’appel a déduit la qualité de la société A2IC à agir en réclamation d’une partie des intérêts de droit de l’acquisition par celle-ci d’appartements dans l’immeuble SMGL alors que, selon le moyen, seuls les titulaires de l’action en garantie décennale ont vocation à recueillir les intérêts de droit de sorte que la question à laquelle la cour d’appel devait répondre était de savoir si la société A2IC, qui a agi en paiement d’une fraction des intérêts de droit, était titulaire de l’action en garantie décennale, étant entendu que cette action n’appartient pas à tous les copropriétaires mais uniquement à ceux existant lors de la découverte des malfaçons; que pour ne l’avoir pas fait, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à l’arrêt attaqué qui encourt de ce fait cassation;
Mais attendu que la BIDI et la BNDA, titulaires de l’action en garantie décennale et bénéficiaires de la condamnation au principal, ont vendu à la société A2IC par acte notarié du 11 décembre 1994 leurs parts de copropriété de l’immeuble SMGL ; que conformément à une clause de l’acte de vente, « la société acquéreur sera subrogée par le fait même des présentes dans tous les droits que la société venderesse pourrait faire valoir à l’encontre des architectes, entrepreneurs, pour malfaçon ou autres causes, et ce, pendant le délai légal » ; que par cette opération, la société A2IC s’est substituée à ses venderesses en obéissant au même régime juridique que celles-ci; qu’en jugeant comme elle l’a fait, la cour d’appel d’Abidjan a suffisamment motivé sa décision; qu’il suit que ce quatrième moyen n’est pas davantage fondé et doit être rejeté
OBSERVATIONS
Comme les missiles à ogives multiples qui visent plusieurs objectifs, le présent arrêt tranche plusieurs problèmes juridiques de fond et de forme. Mais, pour des raisons d’efficacité et de cohérence, seuls seront examinés ses aspects relatifs aux sûretés. L’hypothèque judicaire est une sûreté forcée parce qu’elle est accordée au créancier par décision de justice sans le consentement du débiteur et, parfois, pour des créances éventuelles. Cette particularité fait d’elle, un foyer perpétuel de conflits relatifs, notamment, au non respect des formalités légales ; l’affaire opposant la Société Civile de Grand-Lahou dite SCGL à la American Ivoirian Investment Corporation dite A2IC en constitue une illustration.
En effet, la Scierie Moderne de Grand-Lahou dite SMGL SA devenue Société Civile de Grand-Lahou en abrégé SCGL, avait fait construire un immeuble dénommé SMGL sis à Abidjan Plateau et avait, par la suite, cédé certains lots de l’ensemble à la BNDA et à la BIDI. Ayant constaté des malfaçons dans ledit immeuble, la SCGL assignait, devant le tribunal de première instance d’Abidjan, le 27 octobre 1980, l’entrepreneur (SFEDTP) et l’architecte en garantie décennale. Il s’ensuivait un feuilleton judiciaire riche en rebondissements qui se soldait, en définitive, par la condamnation de l’entrepreneur : par arrêt n° 1093 du 14 juin 1996, la cour d’appel d’Abidjan condamnait la SDTP-CI (nouvelle dénomination de la SFEDTP) à payer, la somme de 241.952.515 francs représentant les intérêts de droit, à la Société Civile de Grand-Lahou (SCGL).
Entre-temps, la BIDI et la BNDA avaient cédé à titre onéreux à la société A2IC, leur part de copropriété de l’immeuble SMGL, par acte notarié en date du 11 décembre 1994. L’acte de vente stipulait clairement : « la société acquéreur sera subrogée par le fait même des présentes dans tous les droits que la société venderesse pourrait faire valoir à l’encontre des architectes, entrepreneurs, pour malfaçon ou autres causes, et ce, pendant le délai légal ». C’est ainsi que, en qualité de subrogeant, la société A2IC estimait être en droit de réclamer à une partie des intérêts de droit reconnus à la SGCL par l’arrêt de la cour d’appel.
Avant d’introduire sa demande au fond, la société A2IC obtenait d’abord, par l’ordonnance présidentielle n°4324/00 du 11 octobre 2000, l’autorisation d’inscrire à titre provisoire une hypothèque sur les lots de l’immeuble SMGL appartenant, également, à la SCGL. Conformément à la loi, l’ordonnance imposait à la société A2IC un délai d’attente de 15 jours, à compter de sa signature, pour l’introduction de l’action en validité de l’hypothèque. Contre toute attente, cette dernière introduisait son assignation au fond, devant le tribunal de première instance d’Abidjan, le 19 octobre 2000 sans observer le délai de 15 jours qui expirait, normalement, le 26 octobre 2000. Par jugement n°05 du 23 janvier 2003, le tribunal de première instance condamnait la SCGL à payer, à A2IC, la somme de 118.172.993 francs et validait, par la même occasion, l’inscription provisoire de l’hypothèque.
Il s’agissait d’une double victoire, pour la société A2IC créancière avant-gardiste, qui ne pouvait laisser indifférente la société SCGL contrainte au partage des intérêts de droit, obtenus après une longue bataille judiciaire menée en solitaire. Elle interjetait appel et la cour d’appel d’Abidjan, par arrêt n° 47 du 16 janvier 2004, confirmait le jugement attaqué en toutes ses dispositions. Poursuivant dans sa logique, elle saisissait la cour commune de justice et d’arbitrage qui rejetait son pourvoi, par l’arrêt n°07 rendu le 30 mars 2006.
Par le pourvoi, la société SCGL contestait entre autres, le non respect des délais et des formalités d’obtention de l’hypothèque judiciaire par la société A2IC. Le recours interpellait la CCJA sur le régime juridique des sanctions encourues en cas de violation des formalités relatives à l’hypothèque judiciaire. Le tribunal doit-il relever d’office les manquements du créancier pour en tirer les conséquences de droit ou revient-il au débiteur de les invoquer pour enrayer ou retarder la procédure d’obtention de l’hypothèque judiciaire ?
En rejetant le pourvoi la haute juridiction met à la charge du débiteur seul, cette obligation. Elle apporte des précisions importantes sur la rétractation, sanction de l’inobservation des délais de l’action en validité (I), et sur les exigences relatives à l’inscription hypothécaire (II).
I. La rétractation éventuelle de la décision d’inscription hypothécaire
La rétractation est le fait pour une personne, une autorité, ou un magistrat de revenir sur une décision déjà prise (V. Dagorne-Labbe Y., observations sous 3e Civ., 13 février 2008, Bull. 2008, III, n° 29, Dalloz, 5 juin 2008, n° 22, p. 1530-1531). Revenant à l’hypothèque judiciaire, la rétraction de l’ordonnance présidentielle a pour conséquence l’annulation de l’autorisation d’inscription provisoire; l’immeuble redevient libre de toute charge et le créancier qui aspirait au statut d’hypothécaire redevient un simple chirographaire. Cette sanction a des causes précises (A) et son prononcé relève de la compétence exclusive de la juridiction présidentielle (B).
A. Les causes de la rétractation de la décision
L’hypothèque judiciaire est une mesure conservatoire destinée à garantir une créance chirographaire, non assortie de titre exécutoire et dont le recouvrement serait mis en péril (V. T.G.I. de Ouagadougou, jugement n° 129 du 14 avril 2004, Société burkinabè de crédit automobile en abrégé (SOBCA) c/ Taounza Djillali et Taounza Slimane; www.ohada.com, ohadata, J-05-223). Les conditions relatives à la créance sont assez souples ; Il n’est pas nécessaire qu’elle soit liquide et exigible. Il suffit que la créance paraisse fondée dans son principe ou même, plus simplement, que le fait générateur de la créance soit vraisemblable (V. Soupgui E., Les sûretés conventionnelles à l’épreuve des procédures collectives dans l’espace OHADA, thèse, Yaoundé II, 2008, n°40 et s. ; Kuaté Tameghé S.S., Kenda Nana D., « L’efficacité des sûretés judiciaires dans le droit uniforme issu de l’OHADA », Revue de droit africain n° 42, avril – juin 2007, pp. 3-23, in Kuaté Tameghé S.S., Jalons d’une habilitation à diriger des recherches, l’Harmattan, Paris, 2008, pp. 233 et s. ; Putman E., La formation des créances, thèse, Aix, 1987, n° 489 ; Dijon, 22 déc. 1959, J.C.P. 1960, II, 11670.)
Le créancier introduit une requête qui est examinée par le juge et, dans l’occurrence favorable, une ordonnance est rendue par celui-ci, autorisant le créancier à prendre une inscription provisoire d’hypothèque sur l’immeuble de son débiteur. L’article 136 alinéa 3 AUS exige que, dans l’ordonnance autorisant le créancier à prendre hypothèque judiciaire conservatoire, le juge fixe deux délais :
- un délai dans lequel le créancier doit, à peine de caducité de l’autorisation, former devant la juridiction compétente l’action en validité d’hypothèque conservatoire ou la demande au fond, même présentée sous forme de requête aux fins d’injonction de payer. L’obligation d’agir permet d’éviter l’inertie du créancier, sinon, l’inscription provisoire risquerait de peser indéfiniment sur le ou les immeubles du débiteur.
un délai dans lequel le créancier ne doit rien entreprendre, au fond, pour permettre au débiteur qui reçoit signification de l’ordonnance de réagir pour contester, éventuellement, la mesure, en la forme ou au fond ;
Si les deux délais ne sont pas prévus par le juge, l’ordonnance est caduque (V. en guise d’illustration de la rétractation de l’ordonnance pour caducité de l’autorisation, Tribunal de première instance de Port-Gentil, ordonnance de référé n° 21/98-99 du 27 novembre 1998, SCI Les Bougainvillées c/ BGFI ; www.ohada.com, ohadata J-02-149 ; Pour une interprétation erronée de la disposition par le juge, v. Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement n°1602 du 28 août 2001, SGBS c/ Financo S.A. www.ohada.com, ohadata J-02-199).
Le créancier qui n’observe pas les délais fixés par le juge, s’expose à la rétractation de l’ordonnance ayant autorisé l’hypothèque (art 136 al. 4 AUS.). Dans l’espèce commentée, en violant le délai d’attente, le créancier a failli à son obligation d’abstention. En effet, conformément à la loi, l’ordonnance présidentielle n° 4324/00 du 11 octobre 2000 fixait un délai de 30 jours à la société A2IC pour initier sa demande au fond et précisait que cette action ne pouvait être introduite avant l’expiration d’un délai de 15 jours à compter de sa signature. Le 19 octobre 2000 soit huit (8) jours après la décision, la société A2IC introduisait son assignation en validité – demande au fond – qui au plus tôt, devrait intervenir le 26 octobre 2000.
Il convient de relever que la facilité pour le créancier d’obtenir une inscription provisoire a, pour contrepoids, le droit de contestation reconnu au débiteur. Dans cette optique, le législateur oblige le juge à préciser, dans l’autorisation d’inscription provisoire, le délai pendant lequel le créancier ne peut saisir la juridiction de fond. Dans le cas d’espèce, le respect du délai d’attente aurait permis au débiteur d’invoquer les irrégularités de l’ordonnance présidentielle, en l’occurrence le défaut d’élection de domicile, pour demander sa rétractation. Par la saisine prématurée du tribunal de première instance d’Abidjan, la société A2IC visait à « court-circuiter » la SCGL pour l’empêcher de saisir le juge des référés, aux fins de rétractation de l’ordonnance litigieuse. D’autant plus que, de jurisprudence constante, dès lors que le tribunal est saisi d’une action en validation de l’hypothèque conservatoire, le juge des référés devient incompétent pour ordonner la rétractation d’une ordonnance autorisant une inscription d’hypothèque conservatoire (C.A. Abidjan, arrêt du 23 mars 2004, sté Afridrag c/ Scicct, www.ohada.com, ohadata J-05-255 ; note sous art. 137, AUS, OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2008, p. 735).
N’ayant pas pu contester la régularité de l’ordonnance devant la juridiction présidentielle, la SCGL s’attendait à ce que le tribunal de première instance d’Abidjan saisi au fond soulève d’office cette irrégularité ; Tel ne sera malheureusement pas le cas ; Le silence de cette juridiction induit qu’une règle d’ordre public n’était pas en cause et confirme la compétence exclusive de la juridiction présidentielle en matière de rétractation.
B. La compétence exclusive de la juridiction présidentielle en matière de rétractation
L’article 136 de l’AUS impose au créancier un double délai d’abstention et d’action, et il dispose in fine que si le créancier les enfreint « la décision peut être rétractée par la juridiction qui a autorisé l’hypothèque ». En clair, la rétractation n’est qu’une sanction éventuelle susceptible d’être analysée sous deux angles:
D’une part, l’éventualité signifierait que la rétractation n’est pas une sanction infligeable d’office par le juge. Dans ce cas, le président du tribunal ne pourrait pas retirer, d’autorité, son ordonnance autorisant l’inscription provisoire d’hypothèque. Il devrait attendre la demande de rétractation du débiteur fondée sur les irrégularités émaillant la procédure d’inscription hypothécaire. Dans le cas échéant, l’ordonnance produirait son plein effet ;
D’autre part, l’éventualité serait synonyme d’appréciation souveraine de la demande de rétraction du débiteur par la juridiction présidentielle. Autrement dit, la juridiction saisie n’aurait pas compétence liée pour prononcer la rétractation. Dans cette hypothèse, la loi laisserait une marge de manœuvre au président qui aurait, dès lors, un pouvoir souverain d’appréciation. Sous cet angle, il serait seul juge de l’opportunité de la rétractation de son ordonnance.
La présente espèce renvoie à la première hypothèse, car la société SGCL n’a pas pu saisir la juridiction présidentielle, pour cause d’introduction prématurée de l’action en validité devant le tribunal de première instance d’Abidjan par son débiteur. Pour preuve, la Cour commune de justice et d’arbitrage relève qu’en l’espèce, au cas où le délai de 15 jours prescrit à la société A2IC n’aurait pas été respecté, l’ordonnance serait exposée à la rétractation par la juridiction présidentielle du tribunal de première instance d’Abidjan qui l’a rendue. Il s’agissait d’un renvoi implicite de la demanderesse à mieux se pourvoir. Le juge des référés n’était pas autorisé à se saisir d’office et la juridiction de fond ne pouvait non plus s’immiscer dans le domaine de compétence matérielle de la juridiction présidentielle. A la suite des juridictions de fond, la haute juridiction reconnaît, de manière explicite, la compétence exclusive de la juridiction présidentielle en la matière.
En définitive, le rejet du moyen tiré l’inobservation du délai d’attente par le créancier, s’expliquerait par l’exclusivité de la compétence de la juridiction présidentielle en matière de rétractation. Qu’en est-il de l’indifférence affichée face à la violation des obligations relatives à l’inscription hypothécaire ?
II. La sanction des obligations relatives à l’inscription hypothécaire
Pour rendre sa sûreté efficace et opposable aux tiers, le créancier doit prendre une inscription auprès des services compétents. Cette inscription est effectuée sur présentation de la décision de justice contenant, obligatoirement, certaines mentions qui permettent d’identifier le créancier et l’immeuble objet de l’hypothèque. Par ailleurs, le débiteur surpris par l’ordonnance doit, tout au moins, être informé de la suite de la procédure; ainsi doit-il recevoir notification de l’inscription d’hypothèque. Il en résulte des obligations incombant aux acteurs de l’inscription hypothécaire (A) dont l’inobservation est sanctionnée (B).
A. Les obligations des acteurs de l’inscription hypothécaire
Deux acteurs principaux interviennent dans la procédure d’inscription de l’hypothèque judiciaire : le président du tribunal ordonne et le créancier accomplit les formalités d’inscription. La loi met à leur charge des obligations qu’il convient de présenter respectivement.
L’article 139 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés énumère les mentions qui doivent impérativement figurer dans l’ordonnance autorisant le créancier à prendre une inscription provisoire d’hypothèque. On peut citer, entre autres, la désignation du créancier, son élection de domicile, le nom du débiteur, la date de la décision, la cause et le montant de la créance et, si l’immeuble est immatriculé la désignation, par le numéro du titre foncier, de l’immeuble sur lequel l’inscription a été ordonnée.
Sur la dernière mention, on peut s’étonner de ce que, pour une entame de procédure caractérisée par le secret, il soit exigé le numéro du titre foncier dont les difficultés d’obtention, dans un tel contexte, sont connues. Ces difficultés expliqueraient la souplesse de la jurisprudence sur la question. En l’espèce, la requête du créancier contenait, à titre purement indicatif les numéros de lots, ce qui n’a pas empêché le juge d’ordonner l’inscription provisoire. La tolérance du juge n’a pas échappé à la vigilance de la SCGL ; Elle reproche à la cour d’appel d’avoir confirmé une ordonnance autorisant une inscription provisoire sur les lots n° 1 à 96 non identifiés par les titres fonciers et qui, de surcroît, ne figuraient pas dans la requête de la société A2IC.
L’argument avancé ne saurait prospérer car les termes de la requête de la société en cause étaient suffisamment globalisants. Il en ressort clairement que, la société A2IC sollicite l’autorisation de prendre une inscription provisoire d’hypothèque « sur tous immeubles appartenant à la société SMGL, et notamment sur les lots no 62 à 87 de l’immeuble SMGL appartenant à la société SMGL ». L’emploi du terme « notamment » atteste, du caractère purement indicatif, des numéros de lots 62 à 87 mentionnés dans la requête. C’est à bon droit que la cour d’appel a confirmé cette appréciation souveraine que le premier juge a faite de l’étendue des lots sur lesquels devait être provisoirement inscrite l’hypothèque.
S’il est aisé de comprendre la souplesse du juge sur l’identification exacte de l’immeuble, en revanche, son inadvertance sur l’individualisation du créancier suscite de la réprobation. En effet, l’ordonnance du juge doit contenir l’élection du domicile du créancier (article 139 al 1er AUS.) dans le ressort de la juridiction compétente ou de la conservation foncière (140 al. 2 de l’AUS.) Or selon toute vraisemblance, l’ordonnance querellée ne satisfaisait pas à cette exigence. Par conséquent, selon le pourvoi, la société A2IC ne pouvait légalement obtenir l’inscription provisoire et a fortiori l’inscription définitive.
A cette omission du président du tribunal s’ajoute la défaillance du créancier. Ce dernier est tenu de notifier la décision ordonnant l’hypothèque judiciaire en délivrant l’assignation en vue de l’instance en validité ou de l’instance au fond. Il doit également notifier l’inscription dans la quinzaine de cette formalité. Il s’agit de deux formalités différentes: la notification de l’ordonnance et la notification de l’inscription effective dans les quinze jours. La première formalité (la notification de la décision ordonnant l’hypothèque judiciaire), a été effectuée, mais la seconde (la notification de l’inscription effective) ne l’a pas été. Dans l’ensemble, il s’agissait des manquements sérieux, de la part du président du tribunal et du créancier, qui méritaient d’être sanctionnées ; l’ont-il été ? Loin s’en faut.
B. Le régime juridique de la sanction des exigences légales
Deux défaillances ont émaillé l’accomplissement des formalités d’inscription : l’absence d’élection de domicile du créancier dans l’ordonnance et le défaut de notification de l’inscription provisoire au débiteur. La sanction ne faisait l’ombre d’aucun doute ; mais sa mise en œuvre était tributaire de la nature juridique des dispositions violées. S’agissait-il de dispositions d’ordre public, auquel cas les manquements devraient être relevés d’office par le juge, ou des textes d’ordre particulier et, dans cette hypothèse, il reviendrait à la partie intéressée (le débiteur) de les invoquer pour obtenir la sanction du juge ?
La position de la CCJA est sans ambages : les dispositions violées n’étaient pas d’ordre public ; elles ne sauraient, par conséquent, être relevées d’office par le juge, ni justifier, de plein droit, une mainlevée de l’inscription autorisée. La SCGL est ainsi victime de son inertie, car il lui revenait de demander à la juridiction présidentielle la rétractation de l’ordonnance pour défaut d’élection de domicile de A2IC, ou la mainlevée de l’hypothèque pour absence de notification de l’inscription provisoire dans la quinzaine. Plaidant ainsi, elle aurait certainement obtenu gain de cause, d’autant plus facilement que les violations étaient flagrantes. Le juge des référés aurait rétracté l’ordonnance d’inscription provisoire. Ne l’ayant pas fait, certainement parce que cela ne lui était pas demandé, il a contribué à couvrir les irrégularités. Au bout du compte, la société A2IC obtient une inscription provisoire ensuite une inscription définitive d’hypothèque sur un immeuble sans avoir, conformément à la loi, élu domicile dans le ressort de la juridiction compétente ou de la conservation foncière.
Il ne faut cependant pas s’émouvoir d’une telle décision. En effet, le débat relevait d’une matière dominée par le principe de la neutralité du juge, lequel impose à ce dernier de ne statuer que dans la mesure de ce qui lui a été demandé.
Eloie Sopgui,
Chargé de cours, Université de Yaoundé II.